Texte
d’audition 10 класс
Les bons voisins
une perquisition обыск
les radios étrangères радиостанция « Свободная Франция »
un procès-verbal протокол
Paris sous l’occupation
allemande. L’action se passe pendant une perquisition, faite par la
police.
Ça, c’est
passé comme au cinéma. Tout à coup huit hommes sont entrés dans notre petit
appartement. Huit hommes à la fois, on manque un peu d’air. Et en été, pensez,
donc. Nous allions nous mettre à table, on dîne tôt pour économiser
l’électricité, et Pauline m’a crié de la cuisine de les mettre à la porte, que
tout allait être froid. Ça les a fait bien rire. Pauline est arrivée avec la
soupe, et c’est tout juste si elle ne l’a pas laissée tomber.
Huit.
Leur patron était gros. Il y avait un autre, très maigre avec des grandes mains
qui s’avançaient vers tout comme pour tout prendre. Je m’expliquais avec le
gros, je protestais, me rappelant qu’ils doivent présenter un papier, un ordre.
Ça aussi, ça les a fait bien rire. Celui qui me perquisitionnait, me posait des
questions sur le gouvernement.
Moi, je
ne pouvais pas lui répondre à cause des cris de Pauline qui se débattait avec
un autre, lui arrachant notre photo en mariés. On voyait qu’ils en avaient
l’expérience.
Deux des
inspecteurs s’étaient assis à table et mangeaient la soupe. Ils s’étaient versé
du vin.
Pauline
avait voulu s’asseoir sur le pouf. Mais alors le maigre s’est jeté sur le pouf,
l’avait retiré de sous elle.
-- Et bien, ça a assez duré, -- dit le gros. Où
caches-tu le materiel, dis-nous vite où tu
caches le matériel.
-- Quel matériel ?
Je jure
que je n’avais aucune idée de quel matériel il voulait parler. Il sembla
changer l’idée et me demanda :
-- Vous écoutez les radios étrangères ?
-- Moi, dis-je, mais je n’écoute même pas la Radio Nationale.
-- Ah ! Vous n’écoutez pas la Radio Nationale.
Notez, que Monsieur a dit qu’il n’écoutait pas la Radio Nationale.
-- Mais ...
-- Il n’y a pas de mais. Et pourquoi
n’écoutez-vous pas la radio Nationale et écoutez-vous les radios
étrangères ? Vous les trouvez plus intéressantes ?
-- Avec quoi voulez-vous que j’écoute ?
-- Avec quoi ? Avec votre poste.
-- Mais je n’ai pas de poste.
-- Nous allons voir si vous n’avez pas de poste
... et comment, si vous n’avez pas de poste, écoutez-vous donc les radios
étrangères ?
-- Mais je ne les écoute pas. Nous n’avons pas de
poste. Regardez vous-même ...
A ce
moment deux hommes apparurent avec un paquet de beurre.
-- Vous voyez, patron, marché noir. Il y a près
d’un kilo de beurre au marché noir.
Et il
écrivit un procès-verbal qu’il me
présenta à signer. Moi, je voulais lire avant de signer. Enfin, j’ai signé. Le
gros pris le papier.
-- Qu’est-ce que c’est ? Comment avez-vous
signé ?
-- De mon nom, dis-je. C’est mon nom.
-- Vous-vous nommez ...
Pétain. Robert Pétain. C’est mon nom. Oh, nous ne
sommes pas parents.
-- Mais si vous vous appelez ... comme vous
dites ... alors qui est-ce qui s’appelle Sellières, Simon Sellières ? Pas
vous ? C’est combien ici ? Je veux dire, le numéro de la
maison ?
-- Le dix-huit ...
-- Mais c’est au seize qu’il habite, ce Sellières.
Pauline
commença à crier :
-- Ah ! Vous ne savez pas compter jusqu’à
dix-huit et vous venez déranger les gens chez eux !
Enfin ils partirent. Je regardai l’heure.
C’était vrai. Alors nous nous installâmes pour écouter. On entendait dans
l’appartement de nos voisins, la voix qui disait :
« Aujourd’hui, 753-e jour de la lutte du
peuple français pour sa libération ... »
D’après Louis Aragon